Les CER d’Afrique, moteurs de l’intégration économique et sociale du continent, rassemblent généralement des pays qui semblent avoir peu de choses en commun. L’Union africaine reconnaît huit CER et estime que ces dernières jouent un rôle essentiel dans le renforcement de l’intégration régionale sur le continent. Les CER poursuivent l’intégration à différents niveaux. Elles peuvent, par exemple, coopérer sur des questions douanières, relatives à la circulation des personnes ou au développement des infrastructures. Certaines CER accordent à leurs membres des conditions préférentielles dans le cadre des échanges transfrontaliers de biens et de services, tandis que d’autres assurent la coordination de la réponse régionale aux catastrophes naturelles ou aux urgences sanitaires. Plusieurs CER coopèrent également sur le plan politique. La coordination des politiques de leurs membres dans des domaines d’intérêt commun tend à améliorer la cohésion socioculturelle dans la région, à renforcer la paix et la sécurité et à générer des avantages économiques grâce à l’intensification du commerce régional. Le rapport IOVA de l’année dernière a révélé que les CER avaient enregistré un rebond après la pandémie en ce qui concerne l’ouverture des régimes de visa, inversant complètement, dans certains cas, les restrictions temporaires qu’elles avaient imposées pour freiner la propagation du virus. Il est donc particulièrement encourageant de constater que six des huit CER ont encore amélioré cette année leur note moyenne en matière d’ouverture des régimes de visa. La CAE est la communauté qui a le plus progressé, suivie de l’IGAD, du COMESA, de la CEEAC, de la CEN-SAD et de la CEDEAO. Quant à la SADC et à l’UMA, leurs notes ne sont que très légèrement inférieures à celles obtenues l’année dernière.
En remontant encore plus loin dans le temps, on constate que dans six des huit CER, la note moyenne d’ouverture des régimes de visa est plus élevée aujourd’hui qu’elle ne l’était en 2019 avant la pandémie. Même la SADC et l’UMA, dont les notes sont légèrement inférieures en 2023 par rapport à 2022, ont aujourd’hui une note moyenne plus élevée qu’en 2019.
À bien des égards, les CER d’Afrique sont les pionnières du continent en matière d’ouverture des régimes de visa. Elles reconnaissent souvent que l’augmentation des échanges de biens et de services, le renforcement de la prospérité et la réalisation de communautés mieux intégrées et plus prospères dépendent de la capacité des personnes à franchir les frontières sans heurts et à moindre coût. Cette réalité a incité plusieurs CER à mettre en œuvre des protocoles sur la libre circulation parallèlement aux accords commerciaux, afin d’ouvrir les frontières de leurs membres aux citoyens de la région.
Cependant, la libre circulation des personnes varie considérablement d’une CER à l’autre, et parfois même au sein d’une même CER. Dans certains cas, la libre circulation reste cantonnée à l’intérieur des instruments fondateurs des CER, la mobilité au sein de la région ne faisant pas l’objet de politiques ou de plans d’action, et les citoyens de la région ayant des difficultés à franchir les frontières des pays voisins. Parfois, des protocoles sur la libre circulation sont négociés et signés, mais ne sont pas largement mis en œuvre. Pour un petit nombre de CER, cependant, la circulation intrarégionale des personnes est un pilier essentiel de l’intégration et les États membres s’accordent mutuellement l’accès à leur territoire, sans visa.
Pour analyser l’ouverture des régimes de visa au niveau régional, l’IOVA calcule la moyenne des notes obtenues par tous les pays membres d’une CER donnée. Cette mesure permet d’obtenir la note moyenne de chacune des huit CER reconnues par l’Union africaine. La comparaison de ces notes révèle non seulement le degré d’ouverture des frontières des États membres de chaque bloc aux citoyens des autres pays dudit bloc, mais aussi, dans une certaine mesure, le degré de libéralisation de la politique en matière de visa appliquée par les membres de la CER en question.
Dans certaines CER, les régimes de visa appliqués par les membres adhèrent largement au principe de réciprocité : la pratique consistant à s’accorder mutuellement les mêmes privilèges en matière de visa que ceux dont elles bénéficient. La réciprocité ne donne aucune garantie quant à l’ouverture des régimes de visa. Elle mesure simplement la symétrie des politiques en matière de visa que les pays appliquent à l’égard de leurs citoyens respectifs. La réciprocité peut essentiellement révéler l’harmonisation des politiques de visa au sein d’une CER. La réciprocité est mesurée en pourcentage. Une CER ayant une note de réciprocité globale de 60 %, par exemple, est une région dans laquelle 60 % des politiques de visa que ses membres s’appliquent mutuellement sont identiques aux politiques de visa qui leur sont offertes en échange. Les 40 % restants représentent des politiques qui diffèrent d’un pays à l’autre.
Selon ce système, une note de réciprocité élevée indique que les politiques sont largement harmonisées. Par exemple, le Cabo Verde permet aux Zambiens d’obtenir un visa à l’arrivée et la Zambie permet aux habitants du Cabo Verde de faire de même. Pareillement, l’Algérie offre aux Tunisiens la possibilité d’entrer sans visa et la Tunisie accorde le même traitement aux Algériens. Une faible note de réciprocité indique souvent que les politiques ne sont pas harmonisées. Par exemple, la République centrafricaine exige que les Burkinabés obtiennent un visa avant de voyager, mais le Burkina Faso permet aux Centrafricains d’entrer sur son territoire sans visa. Le meilleur scénario, celui qui ressort des statistiques des CER dans le présent rapport, est celui d’une grande réciprocité en matière d’exemption de visa. Cela se produit lorsque les pays d’une région autorisent les citoyens de cette dernière à entrer sur leur territoire sans visa. Dans tous les cas, la note de réciprocité d’une CER reflète non seulement les politiques nationales de ses États membres, mais peut également être un indicateur de l’existence (ou de l’absence) d’une politique en matière de libre circulation au sein de la CER et à laquelle ses membres adhèrent.
Il arrive qu’un pays figure en bonne position au titre du classement de l’IOVA alors que sa CER affiche une faible note en matière de réciprocité de l’exemption de visa. Cette situation se produit lorsque la politique du pays en matière de visa à l’égard des citoyens des pays africains en général est plus ouverte que les politiques de visas auxquelles ses citoyens sont confrontés lorsqu’ils se déplacent à l’intérieur de la CER. Une variante de ce scénario se produit lorsqu’un État membre d’une CER est plus ouvert aux visiteurs d’autres pays du continent qu’aux citoyens des pays appartenant à la CER. En d’autres termes, le régime de visa de l’État membre est généralement plus favorable aux ressortissants de pays non membres de la CER qu’aux ressortissants de certains autres membres de la CER. Différentes raisons peuvent être à l’origine de telles situations. L’État membre peut, par exemple, appartenir à deux CER, une dont les membres ont mis en œuvre le protocole de la CER visant à faciliter les voyages et les migrations, et l’autre qui ne dispose pas d’un tel protocole ou dont les membres ne l’ont pas encore mis en œuvre. Il se peut aussi que l’État membre se contente de rendre la pareille aux pays de sa CER dont le régime de visa est défavorable. Ce cas de figure n’est pas rare et montre que, parfois, l’ouverture des régimes de visa va au-delà des considérations techniques. Dans un cas comme dans l’autre, les divergences entre les politiques en matière de visa peuvent révéler des possibilités d’amélioration et inciter les CER à continuer d’innover en matière d’ouverture des régimes de visa.
Les graphiques sur la réciprocité en matière de visa présentés dans la section suivante illustrent la mesure dans laquelle les trois types de politiques de visas mesurés par l’IOVA (exemption de visa, visa à l’arrivée et visa avant le voyage) font l’objet de réciprocité entre les États membres des huit CER reconnues par l’Union africaine. Les graphiques classent les pays par ordre décroissant en fonction de leur niveau d’ouverture réciproque en matière de visa : en tête figurent les pays dont les politiques d’exemption de visa sont les plus réciproques au sein de la CER. Le classement des pays dans les graphiques relatifs à la réciprocité n’est pas lié au classement des pays au titre de l’IOVA. Il ne traduit pas non plus nécessairement la note moyenne d’ouverture des régimes de visa dans les CER. Il indique plutôt dans quelle mesure les politiques de visa des pays, qu’elles soient libérales ou restrictives, font l’objet d’une réciprocité de la part des autres membres d’une CER. Sur le plan politique, des niveaux élevés de réciprocité en matière d’exemption de visa suggèrent une plus grande cohésion en matière de politique des visas au sein d’une CER, et peuvent indiquer l’existence de politiques migratoires régionales libérales et de leur meilleure mise en œuvre par les États membres. Le bon classement d’un pays au titre de l’IOVA, mais la faible réciprocité en matière d’exemption de visa au sein de sa CER, peuvent s’expliquer par le fait que cette dernière n’a pas mis en place de structure permettant d’harmoniser les politiques de visa de ses membres. Il se peut également que les autres membres de la CER du pays en question n’appliquent pas la même politique d’exemption de visa que ce dernier a adoptée à leur égard.