La ZLECA, l’un des projets phares de l’UA, promet de transformer l’Afrique à plusieurs égards, en jetant les bases d’une intégration économique sans précédent grâce à la création du plus grand accord de libre-échange de biens et de services au monde – sur la base du nombre de membres. La ZLECA est un accord complet qui aborde plusieurs leviers qui peuvent contribuer à une meilleure intégration du continent.
La ZLECA suscite l’optimisme quant à ses impacts significatifs potentiels. Une étude de la Banque mondiale sur les impacts économiques de la ZLECA14 estime que les exportations africaines totales augmenteraient de près de 29 % d’ici 2035, principalement grâce à une augmentation substantielle attendue du commerce intra-africain de biens et de services fabriqués en Afrique.
Les gains économiques et sociaux de la ZLECA découleront certes en grande partie de la réduction des obstacles au commerce intra-africain et de l’industrialisation axée sur les exportations, cependant, ces évolutions ne se produisent pas en vase clos. La ZLECA est un accord complet et ambitieux, et ses disciplines couvrent le commerce des biens et des services, l’investissement, la politique de concurrence, le règlement des différends, les femmes et les jeunes dans le commerce, le commerce numérique et de nombreuses disciplines connexes. Bien que sa mise en œuvre complète soit retardée, des progrès significatifs ont été réalisés. Le présent rapport fait le point sur plusieurs de ces évolutions.
Le commerce des services joue un rôle crucial dans la croissance économique et l’intégration régionale : en tant qu’activité économique à part entière (par exemple, la fourniture de services de télécommunication transfrontaliers, les services de conseil) ; en tant que complément du commerce des marchandises (par exemple, les services financiers et juridiques, la propriété intellectuelle en tant qu’intrant dans la fabrication de biens) ; et il est directement lié à la circulation des personnes (par exemple, les professionnels, les chauffeurs routiers qui transportent des marchandises à travers les frontières, les étudiants qui obtiennent des services d’éducation dans un autre pays, les ingénieurs qui travaillent sur un projet d’infrastructure à l’étranger).
Le Protocole de la ZLECA sur le commerce des services est entré en vigueur le 30 mai 2019 et vise à créer un marché unique pour le commerce des services par la libéralisation progressive des services dans une série de secteurs, en commençant par cinq secteurs prioritaires : les services aux entreprises, les communications, les services financiers, le tourisme et les services de transport. Dans chacun de ces secteurs, les États parties échangent des listes d’engagements spécifiques et travaillent sur la coopération règlementaire en vue de réformer la règlementation nationale pour faciliter l’ouverture des marchés.
Les engagements sont pris dans quatre « modes de fourniture de services » (modes 1 à 4), le mode 1 couvrant la fourniture d’un service d’un pays à un autre (fourniture transfrontalière). Le mode 2 concerne la consommation de services à l’étranger sur le territoire d’un autre pays (par exemple, le tourisme, l’éducation ou la recherche d’un traitement médical). Le mode 3 concerne la fourniture de services à l’étranger, par l’établissement d’une présence commerciale sur le territoire d’un autre pays. Enfin, les engagements du mode 4 concernent le déplacement (temporaire) de personnes dans un autre pays pour fournir un service, par exemple dans les domaines de l’ingénierie, de l’éducation, de la technologie, de la médecine ou de la fourniture d’autres services de conseil.
Il est prévu que, dans chacun des cinq secteurs prioritaires, les États parties à la ZLECA offrent un accès à la circulation des personnes dans le cadre du mode 4.
L’Initiative de commerce guidé (GTI) est une initiative défendue par le Secrétariat de la ZLECA afin de lancer le commerce dans le cadre de l’Accord. Bien que la GTI ne soit pas explicitement prévue dans la ZLECA, sa base juridique a été adoptée par le Conseil des ministres de la ZLECA, qui a notamment pour mandat de prendre des mesures pour assurer la mise en œuvre de l’accord. La GTI concerne le commerce entre les pays qui ont adhéré à l’initiative, pour des produits pour lesquels le traitement tarifaire et les règles d’origine ont été finalisés. Il s’agit d’une initiative unique visant à tester l’environnement institutionnel et opérationnel plus large de la ZLECA tout en facilitant le démarrage d’échanges commerciaux significatifs dans le cadre de l’accord. La GTI signale aux négociants et aux gouvernements que l’Afrique est prête à saisir ces nouvelles opportunités commerciales.
La GTI comprenait initialement huit pays (Cameroun, Égypte, Ghana, Kenya, Maurice, Rwanda, Tanzanie et Tunisie), l’Algérie l’ayant rejoint plus tard, et 96 produits (dont des produits horticoles, des produits pharmaceutiques, du caoutchouc, du café et du thé, et d’autres) devant faire l’objet d’un commerce préférentiel dans le cadre de la ZLECA. Pour ce faire, les pays participants doivent être prêts sur le plan administratif et règlementaire et s’aligner sur les dispositions de la ZLECA.
Les premières transactions, notamment de produits agroalimentaires de la Tunisie au Cameroun, de batteries kenyanes au Ghana ou de café rwandais au Ghana, ont été guidées tout au long du processus commercial et ont bénéficié d’une assistance pour les procédures douanières dans les ports d’exportation et d’importation.
L’Afrique du Sud a rejoint l’initiative en janvier 2024 avec des expéditions d’appareils électroménagers et d’équipements miniers vers le Ghana et le Kenya, marquant une étape importante et permettant des possibilités de nouveaux échanges entre les pays participants en Afrique australe, orientale, occidentale et du Nord. Dans le cadre de la phase II de la GTI, annoncée par le Secrétariat de la ZLECA, plus de 30 États parties ont exprimé leur intérêt à y adhérer et, lors du Forum des affaires Biashara Afrika d’octobre 2024 qui s’est tenu à Kigali, au Rwanda, une vitrine d’intérêt a été exprimée dans les domaines de l’agriculture et de l’agro-industrie, des produits pharmaceutiques, de l’automobile, du transport et de la logistique, ainsi que des technologies numériques. La GTI compte actuellement des représentants de toutes les régions d’Afrique, y compris des États insulaires.
La GTI est une initiative louable et un catalyseur important pour aider à faire progresser la ZLECA, mais elle doit être considérée en fin de compte comme un mécanisme de transition pour permettre le commerce préférentiel entre les pays qui ont achevé les aspects critiques des négociations commerciales et, en retour, pour finaliser les processus juridiques nationaux afin de mettre en œuvre ces résultats.
Du point de vue de la circulation des personnes, la GTI peut être mise à profit pour accélérer la circulation des personnes aux fins du commerce intra-africain – y compris, mais sans s’y limiter, le commerce des services. C’est essentiel, car les personnes doivent suivre à la fois les biens et les services. En s’appuyant sur l’élan insufflé par la GTI, il est important d’œuvrer en faveur d’une circulation sans visa dans le cadre des activités commerciales en lien avec la ZLECA.
Le PFMP a été adopté par les États membres de l’UA en 2018 et contient plusieurs dispositions relatives à la mobilité migratoire, visant à assurer progressivement la libre circulation des personnes à travers les frontières africaines et à l’étendre au droit d’entrer, de résider et de s’établir dans d’autres pays africains. Toutefois, il s’agit d’une initiative différente de la ZLECA. À ce jour, 32 États membres ont signé le protocole, mais malgré l’élan positif vers un continent plus intégré, seuls quatre pays l’ont ratifié (il en faut 15 pour que le protocole entre en vigueur). La dernière ratification a eu lieu en juillet 2019 (Niger).
La première phase de mise en œuvre consisterait en une exemption de visa, suivie de droits plus progressifs. Malgré l’approbation initiale relativement élevée du PFMP, l’absence de progrès suggère des préoccupations profondément ancrées quant à l’ampleur et à la portée du protocole, peut-être une inquiétude quant à la profondeur et au rythme des engagements qu’il requiert, et des craintes quant à une perte d’autonomie politique. Malgré le statu quo largement inchangé, les efforts visant à faciliter la circulation des personnes – souvent dans le contexte régional – restent des précurseurs positifs de la création d’une plateforme plus large pour la mobilité humaine dans les États membres de l’UA.
Le marché unique africain du transport aérien (SAATM) est une initiative visant à développer de manière significative la connectivité aérienne intra-africaine par le biais d’une série de mesures, notamment la dérèglementation et le renforcement de la concurrence transnationale. L’initiative SAATM considère que des droits de trafic renforcés pour les compagnies aériennes admissibles, des horaires de connectivité améliorés et des normes communes sur des questions telles que la sûreté et la sécurité, la protection des consommateurs et la concurrence sont des éléments importants pour la mise en place d’un marché du transport aérien africain entièrement libéralisé.
L’un des piliers envisagés pour la poursuite de la libéralisation consiste à créer davantage de possibilités pour les compagnies aériennes d’exploiter des vols qui transportent des passagers dans des pays tiers. De nouveaux itinéraires et des fréquences améliorées offriraient aux voyageurs un éventail de choix plus large, encourageraient des tarifs plus bas et contribueraient à développer le transport aérien pour faciliter le tourisme, le commerce des biens et des services, les opportunités économiques et l’investissement.
En tant que l’un des projets phares de l’UA dans le cadre de l’Agenda 2063, le SAATM a été officiellement lancé en 2018 lors d’un sommet de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de l’UA. Trente-sept pays, représentant plus de 80 % du marché de l’aviation en Afrique, ont signé le SAATM. Toutefois, pour que l’initiative atteigne ses objectifs et fasse progresser de manière significative la connectivité intra-africaine, elle a besoin d’une volonté politique pour être pleinement opérationnelle.
Un protocole de la ZLECA sur les femmes et les jeunes dans le commerce a été finalisé plus tôt en 2024. Il vise à promouvoir et à atteindre « un développement socioéconomique durable et inclusif, l’égalité pour les femmes et les jeunes 16 ». À bien des égards, il s’agit d’une initiative novatrice, qui va au-delà de l’égalité des sexes et de l’inclusivité en tant qu’objectif général, en prévoyant des dispositions assorties d’obligations concrètes visant à renforcer l’autonomie des femmes et des jeunes dans le domaine du commerce.
Le protocole exige des pays qu’ils accordent une attention particulière aux femmes et aux jeunes engagés dans le commerce intra-africain, notamment en les aidant à accéder aux infrastructures liées au commerce. Il s’agit notamment d’améliorer les infrastructures frontalières, de faciliter les procédures douanières transfrontalières et les questions connexes de facilitation du commerce.
Le protocole contient plusieurs dispositions spécifiques et ciblées visant à aider les femmes et les jeunes à renforcer leur participation au commerce transfrontalier. Par exemple, l’assouplissement des barrières non tarifaires, les mesures visant à améliorer l’accès au financement, la formation pour améliorer le respect des exigences règlementaires et des normes, en se concentrant sur les aspects qui affectent spécifiquement ce groupe cible. Ces objectifs sont louables.
Alors que le protocole est limité quant aux modalités spécifiques de mise en œuvre, étant donné qu’il s’en remet aux lois nationales applicables et opère dans les limites de celles-ci, l’UA a récemment publié un projet de règlement ministériel sur l’accès préférentiel au marché pour les femmes et les jeunes dans le commerce, comme l’exige l’article 4, paragraphe 4, du protocole. Ce projet détaille plusieurs actions spécifiques visant à surmonter les difficultés rencontrées par les femmes, les jeunes et les petites et moyennes entreprises engagées dans le commerce transfrontalier, soutenant ainsi la mise en œuvre du protocole. Les objectifs explicites comprennent la promotion de la transparence aux frontières par le biais de bureaux d’information commerciale spécialisés, la coopération en matière de développement d’infrastructures sensibles au genre (y compris le stockage sûr des marchandises et les installations sanitaires sensibles au genre), les initiatives de renforcement des capacités et, d’une manière générale, la lutte contre les disparités et les obstacles liés au commerce et aux frontières qui entravent la participation des femmes et des jeunes au marché commercial régional.
Le règlement de l’UA introduit également un régime de promotion du commerce (RPC) pour les petits commerçants, ce qui montre que les initiatives visant à faciliter le commerce transfrontalier dépendent également de la facilité avec laquelle les citoyens des pays africains peuvent traverser les frontières sans être accablés par une bureaucratie excessive.
Il sera essentiel que ce protocole soit complété par un régime facilité permettant aux femmes et aux jeunes de se déplacer sans visa à travers le continent afin de saisir les opportunités liées à la ZLECA.
Le RPC envisagé par le règlement sur l’accès préférentiel au marché pour les femmes et les jeunes dans le commerce vise à réduire de manière significative les restrictions sur le commerce transfrontalier de faible valeur et est « développé pour faciliter un marché préférentiel pour les femmes et les jeunes qui font du commerce dans le cadre de la ZLECA » (Projet de règlement ministériel sur l’accès préférentiel au marché pour les femmes et les jeunes dans le commerce, août 2024).
Les détails doivent encore être finalisés et alignés sur le régime général des règles d’origine de la ZLECA (et offrir des améliorations tangibles par rapport aux mesures douanières simplifiées qui y sont envisagées), mais le RPC vise à faciliter le commerce dans les catégories de produits admissibles généralement échangés entre des communautés frontalières adjacentes, en réduisant, voire en supprimant, certaines des responsabilités administratives habituellement applicables à ce type d’échanges.
14 Banque mondiale (2020). La zone de libre-échange continentale africaine – Effets économiques et distributifs. Disponible à l’adresse suivante: openknowledge.worldbank.org 15 Pour une discussion sur la base juridique de la directive 1/2021 et de la GTI, voir: tralac.org 16 Protocole à l’accord établissant la zone de libre-échange continentale africaine sur les femmes et les jeunes dans le commerce. Article 2. Disponible à l’adresse: tralac.org